• - Conte : ce que nous mettons en nous -

     

     

     

    - Ce que nous mettons en nous -

     

    Au sortir du vallon des camphriers

    coule une rivière de nacre qui serpente dans les champs.

    Le soir y projette de grandes ombres

    entre lesquelles se cache la demeure du Seigneur Li.

     

     

    - Conte du serpent dans un bol de thé -

     

     

    Le seigneur Li est un homme très savant.

    Il connait toutes les plantes qui assurent la longévité.

    Il conserve dans de l'alcool des os de singes qui guérissent les rhumatismes, dans de grands pots en porcelaine il garde des petits lézards séchés qui font merveille contre les maux d'estomac. Et dans un coffret d'ébène, il possède des agates couleur de miel, qui sont souveraines pour les nerfs malades.

    Mais surtout, il s'inquiète toujours beaucoup pour lui-même. 

    S'il s'attarde le soir dans la fraicheur de son jardin, il guette l'insecte qui pourrait, en le piquant, lui apporter un mal inconnu.

     

    - Conte du serpent dans un bol de thé -

     

    Un jour il est convoqué par le gouverneur de la province pour donner son avis sur les affaires du pays.

    Arrivant au palais, il prend place parmi les conseillers dans la grande salle où les archers du gouverneur rangent leurs armes.

    Devant chaque conseiller se trouve une petite table avec un bol de porcelaine. Les serviteurs y versent du thé, et la séance commence au moment même où chacun prend son bol pour le porter à ses lèvres.

    Le seigneur Li regarde le sien... et il n'en croit pas ses yeux !

    Là, à la surface  ...  immobile  ...  flotte un petit serpent rouge !

    Un peu de sueur perle à son front. 

     

     

    - Conte du serpent dans un bol de thé -

     

    Mais dans la demeure du gouverneur, il ne peut refuser de boire le thé offert. Ses mains tremblent à peine. Il ferme les yeux, et boit d'un trait le contenu du bol, gardant l'espoir que le serpent s'accrochera aux parois de porcelaine.

    C'est fini : il a bu.

    Le seigneur Li jette un regard furtif : le serpent n'y est plus.

    " Quel malheur, songe-t-il, sans rien montrer de son émotion,

    je l'ai avalé ! "

     

    - Conte du serpent dans un bol de thé -

     

     

     

    Il est tard quand le gouverneur prend congé de ses conseillers. Sur le chemin du retour le seigneur Li sent un grand froid l'envahir, bien que ce soit l'été. Sur le seuil de sa maison, une servante, qui a entendu ses pas, l'attend, une lanterne à la main. Il entre et trouve sa femme traçant avec un pinceau les caractères d'un poème sur un long rouleau. Il lui dit : 

    " Mère de mes fils, je me sens soudain sec comme une vieille calebasse  dans le vent de l'hiver. " 

    Et il lui raconte ce qui est arrivé.

     

     

    - Conte du serpent dans un bol de thé -

     

     

     

     

    Les jours passent. Le seigneur Li ne se lève plus.

    Ses forces le quittent. Le médecin n'y comprend rien, mais prescrit quand même de la racine de théier. La servante, elle, dit tout bas :        " Autant essayer de pêcher la lune dans l'eau, il a avalé un serpent, il ne se relèvera pas. "

    Sa femme lui prépare des racines de lotus,  farcies de riz glutineux, son plat préféré. Mais le malade, derrière les rideaux de soie de son lit, fait non de la tête, la bouche close.

    Et devant la vasque aux poissons rouges, sa femme songe : " Il faut comprendre d'où vient le mal ", et elle envoie à la ville le portier, qui a l"esprit vif. Elle lui dit de décrire l'état de son maître, et de tâcher de trouver quelqu'un qui y comprenne quelque chose.

    Le portier s'en va et entre dans la ville par le pont des nuages pourpres. Attiré par l'odeur des galettes au sésame et du caillé de soja fermenté, il pénètre dans l'auberge et soumet au patron l'inquiétante question. Puis le marchand  de porcelaine le retient un instant. Se faufilant ensuite parmi les colporteurs, les enfants qui jouent au cerf-volant et un montreur de singe, il poursuit son chemin le long de la maison de thé. Puis il s'attarde au seuil de la boutique aux canards laqués, puis vers le vendeur de pinceaux et d'encre, et plus loin il s'arrête pour interroger son ami le masseur. Bref, il fait part à chacun de son souci, mais personne ne sait lui répondre.

    Cependant, de cette façon là, le bruit se répand, et ce jusque dans le palais  du gouverneur. Alors le gouverneur fait venir son secrétaire pour connaitre les nouvelles. Et voici ce qui lui est rapporté : 

    " On dit en ville une bien triste nouvelle : un de vos conseiller, le seigneur Li, se meurt d'un mal mystérieux. On dit qu'il a avalé un serpent rouge en même temps que son thé, dans votre demeure. Et on craint qu'il ne parte rapidement aux sources jaunes. "

    Le gouverneur ne sait que dire. Il apprécie beaucoup le seigneur Li et ses sages conseils. Ses sourcils sont froncés, et ses pensées flottent autour de lui comme moucherons au printemps. Son regard se promène en suivant les démarcations des larges dalles de pierre, puis remonte le long des colonnes, puis redescend en longeant les murs de la grande salle.

    Soudain son regard s'arrête sur l'un des arcs de ses gardes. Ces arcs sont suspendus aux murs, et ces arcs sont rouges.

    Très excité il se lève, et dit : " Que l'on m'apporte un bol de thé ".

    Ce qui est aussitôt fait.

    Le gouverneur va alors s'asseoir sur l'un des sièges réservé à ses conseillers, le long des murs de la grande salle. Il tient le bol entre ses deux mains, or dedans il voit, immobile ... un serpent rouge.

    Il appelle un de ses gardes.

    " Va vite chez le seigneur Li. Emporte ton arc, suspends-le au-dessus de son lit. Apporte lui ensuite un bol de thé. Qu'il le tienne bien sous l'arc suspendu, et qu'il regarde. "

    C'est ce qu'a fait l'archer.

    Quand le seigneur Li, avec bien du mal tant il est épuisé, s'est assis et tient son bol ... il voit dedans ... un serpent rouge ! Alors il comprend.

    Il soulève doucement les rideaux de soie, pose un pied sur le sol, puis l'autre, puis il prend sa flûte de roseau, et sort sur la terrasse de pierre.

    Et devant le reflet de la lune dans le bassin

    il joue jusqu'au petit matin. 

     

     

    - Conte du serpent dans un bol de thé -

     

     

     

    ***

     

     

     

     


  • Commentaires

    18
    Dimanche 7 Juin 2020 à 18:14

    Bonsoir pinson,

    Il me semble bien égoïste ce seigneur Li car il garde pour lui tous ces remèdes mis en conserve pour sa santé. 

    Il observe le soir les p'tits insectes dont il pourrait être victime, il est un peu... mince je ne trouve plus le nom, de quelqu'un qui se verrait atteint de toutes les maladies. Et du coup en voyant qu'il a bu le serpent rouge qui était dans son thé, il est tellement paniqué qu'il n'a pas de remède qu'il en tombe malade. Du moins d'après ce je comprends car n'ayant pas de remède, il pense qu'il est malade.

    Ton titre m'a interpellée car il est vrai qu'en se faisant certaines idées, on y croit tellement que l'on a l'impression que c'est vrai ou beaucoup plus grave qu'on ne le pense. Ça me fait penser un peu à cette covid19 où beaucoup ont paniqué et on a pu le voir.

    C'est étrange aussi car parfois en fin de journée, je suis cassée, j'ai mal aux reins et marche courbée et parfois ça m'agace alors, je me dis : redresses-toi mémère, t'as pas mal et marche bien. Comme c'est bizarre, la douleur part et je marche redressée. J'avoue que de me redresser, j'ai mal mais il y a d'autres petites choses comme ça où je me dis il ne faut pas y penser, ne pas appréhender et en fait... c'était dans ma tête. 

    J'ai lu ton conte toujours si bien écrit et illustré plusieurs fois mais difficile d'expliquer de m’exprimer bien.

    Je continue ma visite car j'ai un article de retard.

    Bise pinson et à tout de suite.

      • Dimanche 7 Juin 2020 à 19:16

        Réponse   à    -  Mari jo 21  - - --

        Ah je ne pense pas qu'il gardait tout ça pour lui. 

        Mais c'est vrai qu'il n'avait rien de prévu en cas d'ingestion de serpent rouge !

        Oui le "moral" joue un rôle essentiel, mais le corps lui-même  est aussi important : il faut donc tenir compte des deux !

        Bonne semaine Mari jo.

    17
    Dimanche 7 Juin 2020 à 16:59

    J'aime beaucoup ce conte.

    Je ne comprends pas la peur panique que le covid a fait naître chez certains.

    Bonne fin de dimanche

      • Dimanche 7 Juin 2020 à 19:06

        Réponse   à    -  gazou  - - --

        beaucoup de choses restent mystérieuses dans cette pandémie mondiale, et n'ont pas fini de nous interroger

        Bonne semaine gazou

    16
    Dimanche 7 Juin 2020 à 12:08

    ...néanmoins je craint plus le "Virus X" ce monstre qui vient droit du pays de "Li" et donc on ignore l'origine et  son impact désastreux sur l'homme surtout en ce moment où le régime dictateur chinois mutile les hommes!

    Il faudrait se poser la question, "qui sont tes créateurs virus X"? Pour ma part je ne sort jamais sans mon masque et ma bouteille désinfectant, et je garde les distances, amen.

     

    Bon dimanche!

     

      • Dimanche 7 Juin 2020 à 14:24

        Réponse   à    -  Monika  - - --

        je partage tes questions à propos de ce virus ...

        bien trop "particulier"

    15
    Samedi 6 Juin 2020 à 18:31

    ... merveilleux conte, j'ai passé quelques instant en Chine humé les odeurs et... vu le serpent dans mon bol que  j'ai avaler  sans crainte...yes et je danse sur le toit au clair de lune, grâce à toi...

    Merci

      • Samedi 6 Juin 2020 à 21:13

        Réponse   à    -  Monika  - - --

        Alors je suis ravi, Monika !

        Ce petit conte a parfaitement joué son rôle pour toi. 

        Heureux weekend pour toi, au coeur de ta belle région.

    14
    Simone
    Samedi 6 Juin 2020 à 18:07

    Quelle agréable façon de raconter l'hypocondrie et surtout la puissance de l'imagination. mais pas que......il y a aussi l'influence du moral sur le corps malade qui fait reculer la maladie et là est l'important. Don't you think so Cher Confrère ? bad

    J'aime beaucoup ton histoire

    passe un bon W.E

    Bisous 

      • Samedi 6 Juin 2020 à 21:10

        Réponse   à    -  Simone  - - --

        Et oui, c'est ce que nous savions bien : l'influence du "moral". Certes cela ne tire pas un trait sur les éléments physiques, chimiques, microbiologiques.... mais l'être humain n'est pas que cela.

        La médecine excessivement matérialiste moderne l'a un peu perdu de vue, et d'ailleurs pour en tenir compte, il faut prendre le temps d'écouter le malade, le regarder, essayer de comprendre comment il vit, et cette écoute, j'allais dire cette contemplation (qui laisse l'imagination se mettre en route) ce n'est pas seulement une minute et demie ! 

        Une grande partie du problème est là. 

        Bon dimanche Simone.

    13
    Danielle
    Samedi 6 Juin 2020 à 15:17

    Bonjour pinson, un conte écrit comme un joli poème, très agréable... Le seigneur Li est un savant : os de singes, lézards séchés (je préfère garder mes maux d'estomac smile). Apparemment ce n'est d'ailleurs pas pour soigner les autres en priorité, mais pour prendre soin de lui, il s'inquiète en permanence pour sa santé et des problèmes qui pourraient survenir en lui apportant des maladies. Il imagine, il prévoit, il se crée des dangers potentiels. Toutefois pour ne pas déplaire au gouverneur, il se domine et... avale le serpent !

    Cette "maladie" mystérieuse qui le mine, personne ne peut l'expliquer au portier et l'énigme reste entière, le seigneur s'affaiblit et se meurt doucement. Le serpent rouge serait-il une illusion d'optique ? Mais alors pourquoi le seigneur se sent-il aussi mal ? Sa perception de la réalité est-elle déformée au point qu'il ressente cet effet destructeur ? Il semblerait donc que tout se passe dans sa tête, dans son cerveau. Le seigneur croit avoir avalé "le mal" et il le ressent très fort en lui ! Il est persuadé d'avoir à l'intérieur de lui une bête dangereuse, malsaine... et il ressent des effets totalement imaginaires, erronés (ah, je ne trouve pas le mot !). Disons que c'est un leurre qui trompe sa perception des choses et cette illusion le détruit progressivement. Si on lui apporte la preuve qu'il se trompe, il revit et reprend pied dans la réalité, soudain il retrouve ses repères. Je comprends ainsi ce joli conte avec des mots pleins de poésie mais il suffit de peu pour tout gâcher, une simple erreur, une illusion et le cerveau interprète à "sa façon"... les conséquences sont parfois inattendues ! Bonne fin d'après-midi pinson, avec des bisous un peu ventés, que c'est agréable cet air aux senteurs de l'étang. Danielle

      • Samedi 6 Juin 2020 à 20:59

        Réponse   à    -  Danielle  - - --

        Oui Danielle : il se passe "quelque chose" dans son propre cerveau, et on commence à comprendre que ces modifications peuvent avoir des effets négatifs. C'est ce que je voulais indiquer en choisissant le titre : "ce que nous mettons en nous".

        Nous nous nourrissons d'aliments, de vitamines, c'est-à-dire de molécules, de matière, mais pas seulement : nous nous nourrissons aussi d'images, de pensées, donc d'éléments immatériels, qui ont une action que l'on pourrait comparer à celle des logiciels que nous entrons dans un ordinateur. 

        On comprend alors qu'un mauvais logiciel peut avoir des effets désastreux ! 

        Nos pensées sont bien plus importantes que nous ne l'imaginions.

        Et pour une part, notre santé en dépend. 

        Notre vie même. 

        Ce n'est pas de la science-fiction : c'est la réalité.

        Bisous de pinson.

         

    12
    Cathy
    Samedi 6 Juin 2020 à 10:24

    Bonjour, çà c'est un conte pour médecin comme vous ! et là, encore, j'aimerais vous lire sur ce conte, si celui-ci vous serait présenté - joli samedi pour Vous !! 

      • Samedi 6 Juin 2020 à 19:46

        Réponse   à    -  Cathy  - - --

        Oui Cathy, ce conte mérite une réflexion médicale réelle, sérieuse, car elle pose la question de l'influence de nos croyances dans l'évolution de nos maladies. La question du "moral" (qu'évoque LMPT73) est en effet capital. Mais ce serait un immense sujet si je devais l'aborder. 

        Le samedi fut bon pour moi. Et pour vous Cathy ? J'espère que oui. En tout cas,  bon dimanche !

    11
    Dominique
    Samedi 6 Juin 2020 à 09:16

    Coucou Papette. Tu dois avoir maintenant plus de lecteurs puisque voilà de la publicité qui arrive avant ton article ! Mais ne t'en fais pas, c'est juste une image, ( qui ne bouge pas ), ce n'est pas bien gênant. A moins que cette crème à l'argan soit du seigneur Li...

         Merci pour ce conte plaisant que j'avais complètement oublié.  Bravo pour toutes les notations exotiques qui le rendent très dépaysant et agréable à lire. Un conte sur l'hypercondrie ou, en tout cas,  sur la somatisation d'une inquiétude sur sa santé au point d'en être gravement malade. Non?

                                                           Bonne journée, ( à nouveau à la Chênaie? ) !

                                                                                                                         Gros bisous,

                                                                                                                                                           Dominique PB

      • Samedi 6 Juin 2020 à 19:29

        Réponse   à    -  Dominique  - - --

        De l'huile d'argan ? Un produit que je ne connais pas. Je ne suis pas informé de cet ajout, publicité qui d'ailleurs sur mon ordi n'apparait pas (les "MAC" semblent n'en tolérer aucune). Je me demande si d'autres lecteurs ont eu la même surprise. 

        Le seigneur Li est en effet hypocondriaque (hypo, pas hyper). Mais le fait de faire "entrer"en soi cette idée (je viens de faire entrer en moi un poison qui va me détruire)  est tout à fait capable de démolir nos défenses immunitaires et de dérégler complètement nos si fragiles équilibres physiologiques ! C'est pourquoi je disais à Dominique 73 qu'on avait pris un risque énorme en foutant la frousse au monde entier ! 

        Cela mériterait... bien des réflexions. Pas la place ici. 

         

    10
    Samedi 6 Juin 2020 à 08:15

    rien à ajouter...
    je connais des gens bien riches et qui pourtant ont été fort effrayés par le serpent rouge du Coronavirus.
    Rien ne vaut un bon moral

      • Samedi 6 Juin 2020 à 19:09

        Réponse   à    -  LMPT73  - - --

        Tu touches la cible en plein dans le mille !

        Compte tenu que l'alerte "virus X.." a sonné au niveau mondial, c'est presque cette histoire (de Li) multipliée par 7 milliards ! Et "manipuler la peur" comme cela a été fait, c'était prendre un risque... énorme ! Les accidents de la route, le cancer, l'alcool, le diabète ... tuent beaucoup plus de monde (et pas spécialement des "vieux") que le covid 19, et personne ne semble s'en préoccuper, en tout cas à un niveau bien moindre... Pourquoi ? Je me pose moi aussi mille questions .... 

         

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