• - Charlotte 4 -

     

     

    Je n'ai pas été un bon écolier, et pas d'avantage un bon lycéen.

    Je faisais juste le nécessaire pour ne redoubler aucune année.

    Je préférais de beaucoup explorer les bois et les bords de la Marne

    plutôt que d'étudier l'orthographe, l'histoire, la littérature.

    Je le regrette maintenant, mais il est vraiment un peu tard.

    Et pourtant, tout jeune enfant,  j'avais reçu un beau livre en récompense, un livre que j'avais accueilli comme un bijou d'une immense valeur. Ce livre, un roman de Daniel Defoe, était  bien sûr  "Robinson Crusoe".  Un livre fortement relié, à tranche dorée, illustré de dessins à la plume. Ce livre est rapidement devenu presque ma bible, une fenêtre ouverte sur tous les possibles.  

             

    Arriver dans une île déserte est ainsi devenu pour moi un rêve tenace.

    Mais un proverbe ne dit-il pas :

    " Méfiez vous de vos désirs, ils risqueraient de se réaliser ".

     

    Pourtant qui se méfie de ses désirs ? Et s'en méfier peut-il les empêcher de devenir réalité ? Pas plus en fait que de fuir ses peurs.  En témoigne l'histoire de ce roi  à qui on avait prédit qu'il mourrait écrasé par la chute d'une maison pendant son sommeil. Pour éviter ce sort funeste il renonça à dormir à l'abri d'un toit pour passer toutes ses nuits à la belle étoile. Mais il fut tué un matin, au lever du soleil,  par la chute d'une tortue qu'un aigle maladroit laissa échapper alors qu'il la transportait vers son aire pour en nourrir ses petits.      

    Allait-il en aller de même pour moi ?

     

    Le brouillard, d'abord lumineux, qui était apparu dans le ciel, s'épaississait progressivement, s'assombrissait à un tel point que le pilote en était venu à ne plus pouvoir repérer l'horizon.

     Pour retrouver des repères il dut réduire son altitude. Un Jet puissant serait au contraire monté plus haut et aurait pu ainsi voler en pleine lumière, au dessus de la masse du brouillard. Le petit Cessna ne pouvait se permettre ce luxe. Le plafond nuageux, de plus en plus bas, le contraignit à voler assez près de l'eau.

    Disparues les îles qui tout à l'heure ressemblaient  à des émeraudes  présentées en pleine lumière sur un tapis d'azur par un richissime bijoutier. Parfois l'une d'entre elles surgissait, comme un diable sorti de sa boîte, telle une masse sombre et immédiatement menaçante et le pilote devait faire une soudaine embardée pour l'éviter.

    Plus rien à contempler. 

    Tout à craindre.

     

    Un malheur n'arrive jamais seul. Le petit moteur de l'avion commençait à tousser, comme s'il ne supportait plus le brouillard.

    C'est alors que je réalisais notre situation. 

     

    Le propriétaire de l'avion n'avait signalé à personne le trajet qu'il effectuait. Il n'avait donc reçu aucune autorisation, n'était suivi par aucune tour de contrôle, n'avait communiqué à personne sa route ni donné le moindre renseignement sur ses passagers.

    Je n'avais même pas envisagé cette possibilité. Pour moi, se trouvant dans un pays moderne, une loi existait, et elle était naturellement respectée. Il n'en était rien.  Déjà à Charlotte-Amalie j'avais eu cette confuse impression d'être dans un pays sans loi, si ce n'était en apparence. Les troupeaux de moutons sorties des bateaux pouvaient bien s'écouler sans heurts dans les rues bariolées de la ville, mais elles ne faisaient que suivre des itinéraires balisés, sans jamais sans écarter. Au delà régnait une insécurité certaine. La seule loi était celle de l'argent. Sophie et moi en faisions l'expérience à notre façon. Mais nous étions maintenant dans une situation très dangereuse.

     

    Un grand choc se produisit alors. Bien plus qu'un choc, une suppression totale des lois de la physique. Une aile avait-elle touché l'eau, ou un récif, ou tout autre obstacle ? L'avion s'était brisé. Nous n'avions même pas eu le temps, Sophie et moi, de nous prendre par la main, geste que l'on aimerait faire dans ces cas là, comme pour se sentir plus fort face au destin. Ni moi, ni elle je suppose, n'avons été capables de contrôler quoique ce soit. Nous n'étions plus que les jouets de forces mécaniques irrésistibles.

     

     

    - Charlotte 4 -

     

     

    Je me revois quelques instants, dans une sorte de rêve, je pourrais même dire "dans une sorte de délire " désespéré, tenter de nager, tenter de respirer un peu d'air, tenter de me hisser sur une pente de sable pour sortir enfin, si cela était possible, de ce flot incessant qui revenait sans cesse sur moi.

     

     

    - Charlotte 4 -

     

     

    Puis, probablement, je perdis connaissance.

     

     

     

    - Charlotte 4 -

     

     

     

    Mais cela, c'est ce que je dis maintenant,

    quand j'essaie de comprendre ce qui s'est passé.

     

     

     

     

     

     

     

    ***

     

     

     

     

     

     

                                                                      


  • Commentaires

    18
    Vendredi 11 Mars 2022 à 13:45

    ... je n'ai jamais pris un avion, mes voyages se faisait par  traineau à cheval, navire ( à 5 ans sur la mer Baltique...), trains ou voitures, je ne regrette pas, mes voyages se font à la télévison ou dans ma tête. Par train à 10 ans, je partais seule, une pancarte au tour du cou avec mon nome et les destinateurs . mes grand-parents en Suisse...

    Ciel laiteux ici, un avion passe pour se posé à Genève pas d'oiseaux en ce moment.., si une corneille rien à signaler, mon capitaine, l'Europe soupire, discutes et le Kremel bombarde... certaines hommes sont bestiales!

    Vive l'amour, toi et ton récit!

    Bisous

    Monika

      • Vendredi 11 Mars 2022 à 14:35

        Réponse à   Monika  - - -

        à 5 ans sur la mer ?  Et bien pour moi c'est le contraire :  à 21 ans je n'avais jamais mis mes pieds dans l'eau salée, et même pas vu la mer.

        Mais je t'imagine, toi, enfant, avec ta pancarte autour du cou et mise au train pour traverser l'Europe ! Comme la vie de chacun est bien particulière !!!!

        J'ai assez peu voyagé dans le monde (à la différence ++ de mes petits enfants !). Et depuis maintenant pas mal d'années, je ne voyage pas grâce à la télé (je n'en ai pas) mais uniquement grâce à internet.

        Bisous chère Monika.

         

         

         

    17
    Danielle
    Mercredi 9 Mars 2022 à 21:24

    Bonsoir pinson, la survie de Robinson Crusoé sur l'île déserte a certainement fait rêver des milliers d'enfants, et ton imagination débordante ne pouvait que t'emporter dans le rêve.

    Le paradis dont tu rêvais semble s'éloigner, quelle déception et à présent ta situation n'est guère rassurante, l'aventure se complique dangereusement, plus de paysages idylliques, plus de contemplations émerveillées mais un grand danger imminent... vivement la suite (si je peux accéder à ton blog). Bisous pour toi pinson, à très bientôt. Danielle

      • Jeudi 10 Mars 2022 à 09:48

        Réponse à   Danielle  - - 

        Les paradis dont nous rêvons, auxquels nous ne pouvons pas ne pas rêver, finissent toujours par se troubler et redevenir des sujets d'inquiétude.

        Alors que faire ? Peut-être creuser au fond de nous pour y trouver notre paradis intérieur. ... ?

        Bonne journée Danielle, et prends garde à la pluie qui s'annonce.

        Bisous de pinson.

    16
    nuidra
    Mercredi 9 Mars 2022 à 20:21

    et encore je suis discret sur Iran Liban Syrie Serbie Bosnie Russie et Ukraine, sans parler des Indes de Taiwan et tiens au fait de Brasilia avec un avion qui a perdu une porte en atterissant.

    j'ai fait des prières parfois, mais as eu peur de suite, et parfois deux ou trois jours après , calme à ne pas quitter ma chambre.....

    Liban est des durs, dans la plaine de la Bekaa avec des amis qui veulent mon passeport libanais.. 

     

    Amitiés.

      • Mercredi 9 Mars 2022 à 20:29

        Réponse à   niudra  - - 

        alors vous avez la baraka !

    15
    Lenez o vent
    Mercredi 9 Mars 2022 à 19:24

    Pas si paradisiaque que cela ton voyage !!

    En attendant la suite de tes aventures

    Bisous Pinson

      • Mercredi 9 Mars 2022 à 20:18

        Réponse à   Lenez o vent - - -

        Et oui, nous imaginons que les îles sont des petits paradis....

        Il ne faut pas gratter trop longtemps pour découvrir qu'il n'en est rien.

        Mais bon, laissons-nous vivre ce rêve. Au moins un petit moment.

        bisous pour toi, Armelle.

    14
    Dominique PB
    Mercredi 9 Mars 2022 à 18:57

    Quelles aventures! Ouf, celle-ci doit finir bien car tu as survécu à cette accident. J'attends la suite aussi avec impatience.

    Je ne savais pas que Jean-Pierre ( Niudra ) avait tant voyagé et vécu tant d'incidents d'avion. Comme on doit avoir peur, alors!

       Je pense bien à toi, mon papa chéri, et te dis: à mardi ou mercredi!

    Dominique 

      • Mercredi 9 Mars 2022 à 20:12

        Réponse à   Dominique PB - - 

        Avons nous survécu ?

        ah je ne sais pas encore ... on va voir !

        Oui, Jean-Pierre a traversé de bien terribles dangers.

        A bientôt ma chérie.

    13
    nuidra
    Mercredi 9 Mars 2022 à 18:26

    J'attends la suite. 

    de mon côté au cours de mes très nombreux voyages en avion, des années à plus de 2000 heures en vol , j'ai eu un atterrissage à Miami en plein hurricane , à Bordeaux  avec deux moteurs sur deux arrêtés , à Islamabad arrivée dans l'aérogare, à Simféropol Ukraine, ( j'en dis pas plus), à San Franciso avec un 7 47  après trois essais d'atterrissage ratés après avoir touché la piste ....

     

    et d'autres, c'est Robinson Crusoe , le dernier des Mohicans et Fort Alamo ???

    Amitiés. 

    Niudra

      • Mercredi 9 Mars 2022 à 18:35

        Réponse à   niudra  - - -

        Plus de 2000 heures de vol certaines années ? 

        Mais quel métier aventureux  vous avez fait ! 

        J'espère que votre retraite va être plus tranquille.

        Et que, tel celui-là qui a fait un beau voyage, vous allez goûter les charmes de nos campagnes françaises.

        Bonne soirée JPA.

         

    12
    Charlène
    Mercredi 9 Mars 2022 à 17:57

    Tu sais ménager ton suspens... Merci pour cet écrit où l'on prend plaisir à attendre la suite. Toutes ces îles exotiques me font rêver moi aussi, mais avec la crainte que tu évoquais plus tôt d'un endroit dénaturé par le tourisme, qui aurait perdu sa magie. Alors pour l'instant je les préfère dans mon esprit.

    Bisous

    Charlène

      • Mercredi 9 Mars 2022 à 18:28

        Réponse à   Charlène  - - -

        C'est cela : elles sont des portes ouvertes sur le rêve.

        Et le tourisme moderne (devenu industrie) est la pire des choses qui puisse arriver.

        Mais bon, essayons de sauvegarder le rêve.

        Bisous, chère Charlène.

    11
    FAN
    Mercredi 9 Mars 2022 à 17:34

    HIHI Perso, moi aussi, j'ai eu d'emblée le syndrome de Robinson Crusoé lorsque je l'ai lu enfant  et à présent, je l'ai de plus en plus!!Normal, au 3ème âge, on a fait le tour de l'île!!! J'attends la suite de ton aventure avec Sophie!!Bisous Fan

      • Mercredi 9 Mars 2022 à 18:20

        Réponse à   FAN  - - -

        L'île nous fascine car elle semble se refermer sur la totalité d'un monde que l'on imagine complet : contenir tout ce qui va nous combler, nous rendre pleinement heureux. Et si c'est une île déserte, elle va nous appartenir dans sa totalité. Et nous mettre à l'abri de tous les conflits qui naissent dans notre monde complexe.

        C'est un fantasme d'une puissance redoutable. Car une île ne tiendra jamais aucune de ces promesses.

        Mais qu'il est bon de parfois rêver ...

        Bisous de khaz.

    10
    Mardi 8 Mars 2022 à 20:15

    suspense suspense...

    Ah Robinson, qui n'a pas rêvé avec lui ?

    TU n'étais quand même pas si mauvais que cela en scolaire, vu où tu es arrivé !

      • Mercredi 9 Mars 2022 à 08:00

        Réponse à   LMPT73 - - -

        Sans doute, mais voilà, je n'avais pas le feu sacré. 

        C'est seulement quand je me suis inscrit en médecine que j'ai commencé à vraiment travailler, non pas parce que j'y aurais été obligé, mais par plaisir, par enthousiasme, car tout me plaisait, et apprendre me remplissait de bonheur.

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