• - Charlotte 7 -

     

     

     

    Le lendemain matin, quand je me réveillais, j'étais seul. Les deux femmes étaient sans doute déjà parties à la découverte de l'île.

    Ce fut pour moi l'occasion de faire un bilan de la situation. 

    Dans quelle île nous trouvions-nous ?

    Probablement  un îlot situé un peu au Sud-Est de Norman Island, puisque nous avions aperçu cette île peu de temps avant que ne se produise le crash de notre avion. Un îlot certainement inhabité, comme le sont toutes les petites îles de la zone.

    Quelle était sa taille ? Etant couverte, semble-t-il, d'une végétation sauvage et très dense, son exploration n'allait pas être aisée.

    Et voilà, nous étions là sans aucun bagage. Les portables étaient perdus : aucun moyen donc d'appeler des secours.

     

    Oh comme je me sentais coupable d'avoir entrainé Sophie dans cette folle aventure ! Et je me suis surpris me répétant : " Mais pourquoi n'avons-nous pas attendu l'avion venant de Miami ? " Puis soudain je me suis rappelé les paroles de Géronte répétant lui aussi : " Mais qu'allait-il faire dans cette galère ? " Ce rapprochement inattendu me calma. Comme quoi il est encore utile de nos jours de lire Molière !

    N'empêche, j'étais sidéré de constater qu'une si petite décision pouvait avoir de telles conséquences. Faire un choix serait-il donc comme de jouer au casino ? Nous examinons les cartes qui sont dans nos mains. 

    Parfois nous avons la possibilité de dire "passe", et cela suffit pour nous donner l'impression d'être libres. Serait-ce une illusion ? 

    Cette incertitude est vertigineuse. Et elle règne depuis le début de notre vie, depuis notre conception. Le choix de l'ovule est plutôt limité. Mais pour les spermatozoïdes, ce sont des millions d'entre eux qui se précipitent. Lequel va être l'heureux élu ? Lequel va réussir à  pénétrer le premier dans le château fort ? Ou plutôt lequel sera repéré et capturé, puisqu'on pense maintenant que c'est sans doute l'ovule qui choisit le petit nageur qui lui semble le plus prometteur et se saisit de lui, ou au moins lui ouvre les portes ? 

    J'étais donc reparti dans mes élucubrations, lorsque je vis les deux femmes revenir, toujours depuis la partie orientale de la plage.

    Toutes deux portaient des sortes de sacs faits avec de grandes feuilles repliées,  et dedans étaient des fruits, que je ne reconnus pas d'emblée. C'était des fruits de l'arbre à pain, certains bien jaunes ( censés être mûrs ) et d'autres encore verts.

     

     

    - Charlotte 7 -

     

    D'un geste habile Charlotte ouvrit quelque fruits jaunes et nous les donna en nous disant : " Mangez, c'est bon ". Il y a quelques jours, je n'aurais peut-être pas trouvé cela très bon, mais là ... c'était tout à fait savoureux : un fruit farineux et légèrement sucré.

    Et déjà, pendant que Sophie et moi nous nous restaurions de ces fruits mûrs mais crus, Charlotte s'occupait de préparer un feu en rassemblant quelques brindilles et quelques écorces, qu'elle alluma aussitôt. Avait-elle un briquet ? Sans doute.

    Dès que le feu se mit à crépiter, elle y ajouta des morceaux de bois ramassés sur la plage, puis prit les fruits verts, les incisa en croix à chacune de leurs extrémités,  les mit sur le feu. Et sans jamais cesser de les surveiller, elle se mit à les tourner et retourner un peu comme une poule retourne avec soin les oeufs qu'elle couve.

    L'activité incessante de notre nouvelle amie Arawak me fascinait.

    Petit à petit les fruits devenaient noirs, comme carbonisés. Au bout de 20-30 minutes, elle les sortit, les laissa un peu refroidir, puis les prenant un à un, elle en retira l'écorce. Une fois cette coquille ôtée, un beau fruit tout blanc apparu. Elle le brisa et nous en donna les morceaux, nous disant à nouveau : " Prenez, et mangez-en, c'est bon".

    Oui, je vous le dis à nouveau, j'étais fasciné par la précision et la rapidité de ses gestes. Mais il faut que je vous en dise beaucoup plus !

     

    Dans ma jeunesse, et bien plus tard encore, j'étais "croyant". Et chaque fois que j'allais à la messe, je communiais avec une grande ferveur. Je mangeais ainsi le corps du Christ ressuscité. Et Jésus était lui-même Dieu. Ne vous moquez pas ! C'était une façon de nous approcher de cet immense mystère qui est caché dans le fait que "manger" des aliments nourrit notre corps, que ces aliments deviennent notre corps. Et, à défaut de nous donner la vie éternelle, nous font vivre chaque jour, ce qui n'est tout de même pas rien.

    Cette pulpe farineuse du fruit à pain était aussi tendre que la mie d'un pain de froment tout juste sorti du four d'un boulanger, avec un petit goût de pain au lait tout juste rehaussé d'un parfum de noisette. Un vrai délice ! Or Charlotte nous avait dit deux fois : "Prenez, mangez ...". Si bien que moi, je vivais en même temps deux réalités.

    Durant les années 80, j'ai passé, avec un groupe de chrétiens, un mois et demi en Israël et un soir nous fumes accueillis, en plein désert du Neguev, dans un kibboutz à Mitzpé Ramon, où nous allions dormir. Or le patron de ce kibboutz nous accueillit ainsi : il prit du pain et du vin,  prononça des paroles de consécration, et ce pain et ce vin nous furent distribués avec les mêmes paroles que celles du prêtre catholique. Je compris alors soudain que le mystère affirmé bruyamment dans notre religion la dépassait infiniment et n'était que l'expression d'un profond mystère touchant la vie même de chaque être humain.

    Ainsi ce que je vivais ce jour là avec Charlotte et Sophie était ...

    comme une répétition !

     

    Mais j'ai encore à vous dire tout ce que Charlotte nous a appris concernant l'arbre à pain : ses fruits ont été pendant de très nombreuses années l'un des deux aliments de base pour les polynésiens, l'autre étant le poisson. Vous m'avez bien lu : le fruit de l'arbre à pain, et non pas la noix de coco. Certes le cocotier fait maintenant partie du décor de toutes les îles des régions tropicales. Mais il y a seulement un siècle il en allait autrement. L'arbre à pain dominait encore. Il avait tenu pendant plus de 2000 ans, et avec un plein succès, la place d'un arbre providentiel, jouant le même rôle que le blé pour les pays du monde méditerranéen. 

     

    Sophie et Charlotte avaient encore deux bonnes nouvelles à m'annoncer. Devinez-vous lesquelles ? 

     

     

    ***

     

     

     

     

     

     

     


  • Commentaires

    12
    Mercredi 23 Mars 2022 à 10:52

    ... non Kasimir, je ne devine pas ce que les deux femmes ont te dire, mais je lirais la suite. J'étais sur la plage avec vous... à l'istanceyes.

    Belle journée à toi, à tous, bisou du lac!

    Monika

      • Mercredi 23 Mars 2022 à 12:02

        Réponse à   Monika  - - -

        Tu vas le savoir dès aujourd'hui !

        Bisous du Gâtinais, à toi qui vit dans le ciel.

    11
    Lenez o vent
    Mercredi 23 Mars 2022 à 08:27

    Par ton périple, tu fais voyager et découvrir merci

    Les deux femmes prennent soin de toi, Charlotte utilise les coutumes ancestralees

    Merci pour ces histoires qui aident l'imagination

    Bonne journée Pinson

    C'est mon 2 ème commentaire, le 1 er a du se percre

    Bisous ensoleillés

      • Mercredi 23 Mars 2022 à 09:47

        Réponse à   Lenez o vent  - - -

        Ah oui : ton premier commentaire n'apparait nulle part.

        Content que tu me suives.

        Bisous pour toi.

    10
    Samedi 19 Mars 2022 à 20:39

    Bonsoir pinson,

    Je ne connaissais pas l'arbre à pain, merci Internet. Je vois bien Charlotte ouvrir les petits fruits pour avoir vu dans des documentaires des femmes ouvrir des noix de coco d'un seul coup de machette.

    Une belle suite que je suis incapable de commenter mais un plaisir de te lire qui reste toujours le même.

    Je ne vois pas quelles bonnes nouvelles vont t'annoncer Sophie et Charlotte et j'ai hâte de le découvrir.

    Bonne soirée pinson avec des bisous remplis d'amitié. Bisous à Danielle.

      • Dimanche 20 Mars 2022 à 07:38

        Réponse à   Mari jo  - - -

        L'arbre à pain n'est en effet pas connu car son fruit n'est pas vendu sur nos marchés. De nombreux fruits de ces régions tropicales sont de même invendables dans nos pays car intransportables, et ils sont pourtant excellents. 

        Bisous, Mari jo.

    9
    Samedi 19 Mars 2022 à 19:26

    Oui, l'imagination et heureusement, toi et moi nous en avons, en plus nous sommes un peu les reliquats d'un monde disparu où l'on prenait le temps de vraies tchatches et non pas les SMS en style télégraphiques

    BIZOUKHAZ

      • Samedi 19 Mars 2022 à 20:03

        Réponse à   Simone  - - -

        Et trop de choses à raconter !

        BZKZ, chère Simone.

    8
    nuidra
    Samedi 19 Mars 2022 à 18:35

    Le Beau et le Vrai font bon ménage, comme Khaz avec les deux dames. 

    Khaz avec la beauté et la vérité. 

    Je ne suis jamais rentré légalement en Israël donc ne sais pas pour l'expérience du pain et vin.  

    En bon petit catholique, j'ai communié comme Khaz, avec ferveur, et peur aussi. 

    En Asie, j'ai constaté que Boudha et d'autres Dieu sont célébrés comme en pays chrétien. C'est à dire que l'on fait des offrandes quand on a besoin, ( nous aussi et même pour rien demander ).

    Le Pain et le Vin, le solide et le liquide portent le Vie, et Notre Seigneur a bien résumé cela. 

    La suite, je l'imagine en beauté et en vérité. 

    Pensées amicales à tous et à toutes.  

     

     

      • Samedi 19 Mars 2022 à 20:01

        Réponse à   niudra  - - -

        Quand on a, comme vous, bourlingué sans arrêt dans le monde entier, on doit en avoir des choses à raconter, et à méditer ....

        Bon dimanche, ami JPA.         

    7
    Samedi 19 Mars 2022 à 17:02

    Non et je ne cherche pas, je veux prolonger le mystère. Et puis zut, je n'ai pas mangé du fruit de l'arbre à pain quand j'étais aux îles Vierges. mais je n'avais pas de femme arawak avec moi. Dommage !

    Bisous Mr K

      • Samedi 19 Mars 2022 à 18:56

        Réponse à   Simone  - - -

        C'est le problème de l'arbre à pain : utiliser ses fruits (cuits) demande un certain travail. Donc du temps. Et c'est ce qui manque de plus en plus dans notre monde moderne, si bien que l'on peut dire qu'il est aujourd'hui abandonné, et qu'en consommer (un peu) drevient une fantaisie. Alors pâtes, baguettes de pain et pommes de terre, que l'on soit au pôle nord ou à l'équateur. 

        Heureusement qu'il nous reste l'imagination.

        BIZ de KHAZ.

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